Depuis le 1er janvier 2021, le réseau de transports en commun en Ile-de-France est entré en concurrence sur le périmètre bus Grande Couronne. Cette ouverture au marché s’inscrit dans un mouvement global de libéralisation progressive des réseaux de transports de voyageurs qui a démarré bien avant en région.
Ainsi, en Ile-de-France, l’Autorité Organisatrice des Mobilités (AOM) gère le processus d’ouverture à la concurrence pour les transports publics assurés par la RATP, la SNCF (Transilien) et les compagnies de bus OPTILE (Organisation Professionnelle des Transports d’Ile-de-France).
- A date, les nouvelles attributions des lots OPTILE en Grande Couronne ont bien commencé. La mise en concurrence du réseau de bus RATP et du réseau Transilien se concrétise. Le déploiement du Grand Paris Express est dans toutes les têtes.
- Partout ailleurs, les grandes métropoles et les régions cherchent à mieux susciter cette concurrence. La métropole de Lyon a par exemple annoncé en mars 2022 l’allotissement du réseau TCL. La région PACA a attribué à Transdev un de ses lots TER.
Fort de ce constat et de ses expériences, Eurogroup Consulting partage 8 actions pour une mise en concurrence positive pour l’ensemble des parties prenantes concernées.
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1 : CONCEVOIR L’ALLOTISSEMENT… SOUS CONDITIONS
L’ouverture à la concurrence vise plusieurs objectifs. Entre autres : maximiser la valeur économique, améliorer l’offre de service, accroître la productivité et la performance des acteurs, renforcer les innovations au bénéfice des voyageurs.
Pour favoriser la concurrence, le principe d’allotissement peut être appliqué. Il consiste à décomposer un réseau de transport en plusieurs unités autonomes pour des raisons économiques, financières ou techniques. Cette division du réseau public est un moyen d’attirer des opérateurs de nature/taille variées et des opérateurs spécialistes. L’allotissement peut être réalisé selon plusieurs critères :
- par mode de transport : réseaux de surface – bus avec ou sans tramway, métro, métro automatique, câble ou encore maritime ou fluvial.
- par zone géographique : pour effectuer un découpage géographique cohérent avec l’offre de transports territoriale. Cette logique est souvent retenue pour les réseaux de bus.
- par métier : selon les activités d’exploitation, de maintenance et de gestion des infrastructures, de relation client, etc.
- par segment client spécifique ou offre spécifique : transport pour les personnes à mobilité réduite par exemple ou transport à la demande/vélo/parc-relais etc. Ce critère est toutefois moins fréquent.
L’allotissement doit aussi être attractif pour les prétendants. La sur-spécialisation et un découpage trop fin de la chaîne de valeur sont des écueils à éviter. Ils cantonnent en effet certains acteurs à des activités à trop faible rentabilité ou contraires aux stratégies de développement d’offres complètes.
Par ailleurs, les Autorités Organisatrices de la Mobilité (AOM) disposent d’un levier supplémentaire : le modèle contractuel, en particulier les mécanismes d’incitation. Celui-ci instaure la durée des contrats, l’opportunité laissée aux prétendants d’établir des partenariats ou de se positionner sur plusieurs lots (selon les logiques d’exclusion à l’œuvre) etc.
L’allotissement doit également être pensé selon la maturité du réseau, son évolutivité (i.e : rapprochement futur avec un périmètre d’un autre contrat), les effets escomptés sur le réseau mais aussi l’écosystème d’acteurs en présence.
D’expérience, plus un réseau est mature plus il existe un phénomène de concentration afin de chercher des synergies. Plus un réseau connait de projets, plus la tendance est à l’allotissement pour aller chercher la spécialisation.
2 : IMAGINER UN MODÈLE FINANCIER WIN/WIN AUX RISQUES PARTAGÉS
Instabilité, baisse de fréquentation : la crise sanitaire a impacté la santé financière des transports en commun. Dans son rapport annuel, la Cour des Comptes note ainsi que la fréquentation en Ile-de-France n’a pas retrouvé son niveau d’avant-crise, alors que les dépenses d’exploitation seront amenées à augmenter avec l’ouverture de nouvelles infrastructures.
- Des mesures doivent donc être prises, en dépenses et en recette, pour rétablir à court-terme l’équilibre financier du modèle économique des transports publics franciliens, puis le rendre pérenne à moyen et long terme.
Ainsi les AOM doivent, plus que jamais, veiller à élaborer des modèles de rémunération et de financement vertueux. Que ce soit pour les collectivités ou pour les opérateurs, avec un partage plus marqué des risques. Deux tendances, qui variabilisent la rémunération de l’opérateur, insufflent cette logique actuellement :
- La mise en place systématique d’une Rémunération liée à la Qualité de Service (RQS). La RQS est évaluée à partir de données sur la régularité/ponctualité du réseau, les avis des usagers ou encore d’autres aspects définis en amont dans les contrats : propreté sur le réseau, professionnalisme des agents, etc. Cette part variable peut représenter jusqu’à +/-10% de la rémunération d’un acteur sur certains modes.
- La rémunération des opérateurs, variable selon l’atteinte d’autres objectifs tracés (validation, recettes, gestion des situations perturbées…)
Ces mécanismes incitent les opérateurs à élaborer des offres de transport pour lesquelles la part variable de la rémunération (qualité de service/fréquentation) tend, voire dépasse, la rémunération fixe versée par l’AOM. De fait, les opérateurs sont encouragés à porter une part plus importante des risques sur l’offre proposée. A l’AOM la charge de réguler cet exercice, en créant les conditions d’une prise de risque mesurée et encadrée par les opérateurs. Ceci peut se traduire par :
- L’analyse objective des prévisions de fréquentation sur le réseau. Ce qui évite l’élaboration d’offres mieux-disantes mais irréalistes par les répondants ;
- L’ajout dans les marchés de clauses de revoyure sur les prévisions de fréquentation dans le cas d’éléments non anticipés pouvant mettre à mal le modèle. C’est l’exemple même de la « clause Covid » ;
- La mise en œuvre d’indicateurs de QS objectifs, mesurables et atteignables ;
- L’autonomie laissée aux opérateurs sur les aspects de l’offre pour lesquels ils s’engagent et prennent des risques. Par exemple, les opérateurs doivent pouvoir garder une liberté d’action sur le marketing opérationnel, en cohérence avec les objectifs de fréquentation visés.
3 : IDENTIFIER LES NATURES DE MISSIONS POUR LES ASSIGNER AUX ACTEURS COMPÉTENTS
La mise en concurrence permet de confier des missions spécifiques à des acteurs compétents, spécialisés dans leur domaine. Il existe 4 types de missions : stratégique, régalienne, opérationnelle et transverse. A chacune correspond un acteur compétent, à définir et à identifier clairement.
Les missions stratégiques
Elles regroupent, par exemple, les stratégies d’offre, de tarification, la politique de service ou encore la stratégie de gestion des actifs. Ces missions sont garantes des objectifs de performance et de la maîtrise des actifs clés du réseau. Elles reviennent à l’AOM, acteur en charge de l’organisation et du financement du réseau.
Les missions régaliennes
Elles intègrent les notions de sécurité, sûreté, gestion de crise, etc. Ces missions sont garantes du fonctionnement du réseau, y compris en cas de situations exceptionnelles comme des accidents, attentats, épisodes climatiques. Elles doivent être dans les mains d’un seul acteur : l’AOM ou un opérateur à qui l’AOM aurait délégué pour garantir la sécurité de tous. Les responsabilités doivent être clairement définies entre celui qui prend les décisions et celui qui les exécute.
Les missions opérationnelles
Elles comprennent la conduite, l’entretien du matériel roulant, la gestion des infrastructures, etc. Elles peuvent être déléguées à des acteurs spécialisés. En Suède par exemple, certaines expertises spécifiques comme la maintenance des aiguillages du pays, sont désormais assurées par des partenaires privés spécialistes.
Les missions transverses
Celles qui impactent directement la qualité de l’expérience client et sont en interface forte avec chacun des acteurs sur le réseau : information voyageur, gestion des agences commerciales et des titres de transport, etc. Ces missions doivent être coordonnées par un seul et même acteur : l’AOM / ou un opérateur à qui l’AOM aurait délégué, pour l’ensemble d’un réseau de transport afin de garantir un parcours lisible, fiable et sans-couture pour les usagers.
L’AOM est clairement identifiée sur les missions stratégiques. Elle peut aussi assumer les missions régaliennes et transverses, sous réserve des effectifs, des compétences, et de l’envie d’assumer des missions opérationnelles. Sinon, l’AOM doit désigner un acteur délégataire. L’AOM doit également s’assurer d’une répartition claire des responsabilités pour garantir le bon fonctionnement du réseau en situation normale et perturbée.
4 : CONCILIER MISE EN CONCURRENCE ET ACQUIS SOCIAUX
L’ouverture à la concurrence transforme les conditions de travail et peut créer des tensions sociales. Le transfert des personnels et le maintien des avantages acquis sont des enjeux capitaux. Surtout dans une activité où l’humain reste le maillon essentiel à sa réalisation. Un réseau de bus par exemple est constitué à 80% d’effectifs dits de conduite et la masse salariale constitue la majeure partie des charges d’exploitation.
La mise en concurrence s’inscrit dans un contexte particulier. Il existe une forte tension sur les métiers de conducteurs (pénurie de conducteurs dans certains réseaux et sur certaines lignes de transilien, prime de cooptation pour favoriser le recrutement…). En même temps des cultures d’entreprise fortes se développent, des parcours d’évolution professionnelle permettent de changer de métier, la polyvalence émerge, les avantages liés à des statuts ou des accords de branche voire parfois des usages, se confirment etc. Plusieurs mécanismes permettent de sauvegarder ces acquis. Entre autres, la bourse à l’emploi, le maintien des accords inscrits dans les contrats, des incitatifs financiers pour les passerelles.
L’enjeu ? Maintenir durablement ces avantages qui dépendent notamment de la régulation et du cadre donnés par l’AOM. A titre d’exemples :
- En Ile-de-France, Ile-de-France Mobilités a mis en place la commission Bailly pour faire converger les points de vue entre les représentants du personnel, les syndicats et les directions de réseaux
- A Lyon, le Sytral a promis dans son allotissement un socle social pour garantir à tous les salariés la continuité de leurs acquis et droits sociaux.
- Au Royaume-Uni, le maire de Londres a mis en place des primes de rétention pour les conducteurs après 2 ans d’expérience puis 3 ans d’expérience mais aussi et surtout la « Licence for London » qui permet aux conducteurs de bus de passer d’un opérateur à un autre sans perdre son niveau de salaire.
5 : GARANTIR UNE COHÉRENCE MULTIMODALE POUR UNE EXPÉRIENCE CLIENT SANS COUTURE
L’expérience voyageur doit le plus possible être sans couture, malgré les parcours multimodaux. C’est la condition sine qua non pour convaincre les automobilistes d’utiliser les transports en commun : sérénité, prix compétitif, durée globale du trajet réduite…
Concrètement, le parcours du voyageur, généralement multimodal, doit se faire de manière fluide. Que ce soit dans le monde réel ou dans l’univers digital. Ceci suppose :
- un service digital qui intègre l’ensemble des modes pour proposer la palette des combinaisons en fonction de différents critères (temps, prix, C02, etc.)
- un parcours dans les infrastructures, avec une signalétique et une information voyageur en temps réel de qualité (cheminement entre le parking et la gare, cheminement indoor au sein de la gare ou du pôle d’échange, etc.)
Or, selon la configuration de la mise en concurrence, en particulier en cas d’allotissement, il est probable que plus d’opérateurs de transport soient en présence. Opérateurs auxquels s’ajoutent non seulement les acteurs de mobilités privés (trottinette, vélo / scooter en libre-service, covoiturage, …) mais aussi les fournisseurs de services (Googlemaps, Citymapper, …) et les véhicules individuels. Pour assurer une cohérence, il est indispensable de faire appel à un intégrateur de l’ensemble de ces acteurs. L’AOM est toute désignée pour cette mission et assume un double rôle :
- de prescripteur vis-à-vis de l’écosystème. L’AOM s’assure que ces référentiels/chartes/engagement de services soient bien appliqués. L’AOM vérifie que la vision customer-centric soit également bien prise en compte. Que ce soit dans les contrats avec les opérateurs « classiques » mais également sur les nouvelles mobilités, ou les distributeurs, etc. C’est notamment ce qu’a pu faire IDFM avec le guide MaaS et les différentes prescriptions signalétiques.
- et de faiseur, au travers un service digital qui doit avoir l’épine dorsale des transports collectifs, intégrer l’ensemble des modes à l’échelle du territoire. Ceci pour réussir à faire évoluer les comportements et favoriser les modes collectifs à moindre impact sur le climat.
6 : ADAPTER ET ADOPTER LE MODÈLE CONTRACTUEL SELON LE TERRITOIRE ET SON AMBITION
Adapter le modèle contractuel
Aujourd’hui, 15% du réseau en France est géré en régie vs 85% du réseau délégué à des opérateurs privés (via Délégation de Service Public ou marché Public – Etude Xerfi sur le transport urbain de voyageurs – octobre 2021). Il n’existe pas de modèle parfait. Le meilleur montage est celui le plus adapté aux enjeux techniques et stratégiques auxquels l’AOM fait face. A savoir la conciliation entre le besoin de reprendre en propre des compétences stratégiques vs le souhait d’aller chercher des acteurs spécialisés.
Considérer le fonctionnement en actionnariat public
Un fonctionnement en actionnariat public (SEMOP, SPL, SEM) est également une bonne option pour partager des investissements conséquents. Comme dans le cadre d’un plan de mandat ambitieux. A noter par ailleurs que les règles qui régissent ce type de structure sont assez contraignantes (par exemple : un pacte d’actionnaire très précis pour les SEMOP).
Prendre en compte la durée des contrats
La durée des contrats est également une variable importante. Par exemple, si un réseau opte pour une Délégation de Service Public, le mieux est de prévoir une durée de contrat alignée avec les échéances des projets du plan de mandat. Et ce dans la limite des délais régis par le règlement européen OSP (même s’il est toujours possible d’aller au-delà de cette durée si l’opérateur porte lui-même des investissements).
7 : PARTAGER UNE VISION ET UNE STRATÉGIE COMMUNE
Réfléchir à la stratégie de mise en concurrence d’un réseau, son modèle opérationnel, les modalités de mise en œuvre… nécessite de faire émerger une ambition commune et collectivement partagée. Cette transformation doit être réalisée avec écoute et pédagogie.
L’objectif ? Gagner l’adhésion de l’ensemble des parties prenantes et identifier clairement les impacts induits sur les périmètres de responsabilité, sur les organisations, les compétences, sur la gouvernance, etc.
Notre recommandation consiste à travailler sur l’intérêt du client voyageur et du besoin d’équilibre collectif. Notamment grâce à :
- Un alignement en interne (élus / techniques) au travers d’instances de travail et de pilotage voire de learning expédition. Ces expéditions permettent l’ouverture à d’autres expériences (comme à Berlin, Milan), pour observer des réseaux aux modes très diversifiés mais non allotis, ou pour aller voir des réseaux allotis avec parfois de très nombreux acteurs (comme dans les pays nordiques), ou pour décrypter des réseaux au fonctionnement en régie (comme en Suisse).
- Ou en parallèle grâce à du « Sourcing » avec les opérateurs pour avoir des échanges directs et transparents. Ou par un échange individuel ou collectif pour les collectivités, associations, syndicats.
Et, surtout, ce dialogue ne doit pas intervenir juste en amont des travaux de mise en concurrence ou renouvellement, mais en continu. Les durées des contrats montrent qu’il faut toujours penser au prochain ou être capable de gérer des évolutions du réseau (nouvelle ligne ou prolongement), de nouveaux modes, etc. Nos expériences récentes confirment l’importance du dialogue pour lever les ambiguïtés.
8 : PRENDRE CONSCIENCE DES BARRIÈRES A L’ENTRÉE DU MARCHÉ
Sur le périmètre OPTILE (Ex CT3, réseaux de surface de Grand-Couronne en Île-de-France), la mise en concurrence a entrainé des changements d’opérateurs pour plus de 40% des lots attribués à date. 100% de ces changements ont été réalisés entre les 3 principaux opérateurs : Keolis, RATP (avec sa filiale RATP Dev) et Transdev. Si le groupe de titulaires s’étend désormais à 4 opérateurs avec la récente attribution de deux lots au groupement Lacroix-Savac, ces chiffres illustrent la difficulté que peuvent rencontrer les acteurs entrants.
Il appartient aux AOM de prendre conscience des difficultés réelles que peuvent rencontrer les acteurs désireux de pénétrer certains marchés… voire le marché français quand il s’agit d’acteurs étrangers. Voici les principales difficultés rencontrées par les acteurs entrants :
- L’organisation du marché du transport français qui repose sur 3 niveaux différents et dont chacun dispose d’un droit de regard sur l’offre de transport et la structuration des réseaux (le niveau étatique, régional et enfin local) ;
- L’existence de différents types de réseaux avec certains réseaux ou types de transports conventionnés d’une part et libres d’autre part ;
- Les barrières industrielles et règlementaires relatives à l’acquisition ou importation de certaines technologies et assets. Plus spécifiquement pour des opérateurs non-européens, l’obtention de la licence d’entreprise ferroviaire, le certificat de sécurité mais aussi les sillons horaires auprès des gestionnaires d’infrastructure ;
- Les barrières culturelles (langue) mais aussi et surtout sociales dans la bonne appréhension des spécificités du droit français, des conventions collectives et des conditions, obligations et enjeux de certains transferts de personnels comme pour le périmètre à venir de la RATP ou à terme de la SNCF avec des agents disposant de statuts particuliers ;
- Enfin, les difficultés à obtenir les données et informations relatives au réseau.
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L'accompagnement Eurogroup Consulting
Nous vous proposons un accompagnement complet depuis les réflexions stratégiques aux déclinaisons opérationnelles : choix de modèles d’exploitation, caractérisation et déploiement des transformations nécessaires. Notre connaissance fine des problématiques associées à chaque métier ainsi que notre maîtrise des tendances de fond (mise en concurrence, enjeux de renouvellement, modèles contractuels…) nous donnent la capacité d’intervenir sur l’ensemble de la chaîne de valeur de la mobilité et l’assurance d’anticiper des risques majeurs.
Cécile GOUESSE
Associée, Eurogroup Consulting